Le dégriffage félin et ses alternatives

Par Dr Jordyn Hewer, m.v., médecin vétérinaire de la RISAVR
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L’attrait du dégriffage des chats pour les humains

Souhaitant préserver les divans ou les rideaux de leur résidence, il était fréquent auparavant que les propriétaires de chats demandent aux médecins vétérinaires de retirer les griffes avant d’un chat, voire les griffes des quatre pattes.

Cette procédure a été inventée pour des considérations pratiques afin de corriger le comportement naturel du griffage des chats et non à la suite de connaissances scientifiques probantes.

Cette pratique est dorénavant fortement déconseillée et bon nombre d’établissements vétérinaires ont cessé de pratiquer cet acte et dans d’autres provinces cette chirurgie est tout simplement interdite.

Avant de prendre une décision il est important de comprendre l’acte, ses conséquences et de connaitre les alternatives.

 

En quoi consiste le dégriffage félin ?

Le dégriffage est une procédure chirurgicale qui consiste à amputer la troisième phalange de chaque doigt du chat.

Contrairement aux ongles d’humain, les griffes du chat poussent à partir de l’ossature de la dernière phalange. Le dégriffage du chat comprend donc l’excision permanente et irréversible de cette phalange, et ce, par son amputation à la dernière jointure du doigt. C’est pour cette raison que l’Association Canadienne des Médecins Vétérinaires définit la procédure comme une amputation partielle des doigts. Puisque les chats possèdent typiquement 5 doigts aux membres thoraciques et 4 doigts aux membres pelviens, nous parlons alors de 18 amputations distinctes pour un dégriffage des 4 pattes de l’animal.

L’amputation requiert la section de plusieurs tendons, de ligaments, de nerfs, et de vaisseaux sanguins. Le résultat net de l’amputation est que le chat ne possède plus aucune griffe, en réduisant de 1/3 la longueur de ses doigts. En physique newtoniènne, nous réduisons le bras levier du doigt de 1/3, ce qui résulte en une diminution de la capacité de la patte du chat à générer une force qui se nomme couple (torque). Ceci implique une perte de force de préhension, et diminue la motricité fine des pattes, ainsi qu’une diminution de l’équilibre de l’animal.

 

Plus précisément, le tendon principal sectionné lors du dégriffage est l’un des plus importants pour la locomotion du chat. Il se nomme le fléchisseur profond des doigts. Il permet de fléchir notre main (faire un poing), et il occupe la même fonction chez le chat, parmi tant d’autres. Pour comprendre ses points d’attache, faites un poing, et observez les muscles de l’avant-bras qui se contractent. Ce tendon, qui est coupé, et qui n’est jamais ré-attaché lors du dégriffage, est le même qui contrôle les mouvements de l’animal de l’avant-bras jusqu’au bout des doigts. Le tendon doit se cicatriser à un nouvel endroit, souvent de façon non-optimale.

 

Suite à la cicatrisation du tendon, les doigts du chat peuvent rester figés en flexion, incapable d’extension, une condition médicale qui se nomme contracture tendineuse. Chez l’humain, un syndrome comparable se nomme «Main de la griffe » ou « claw hand » en anglais. Il s’agit d’une condition dans laquelle les doigts sont visiblement courbés ou pliés. Selon la gravité de la condition, l’individu éprouve des difficultés à utiliser ses mains pour ramasser et saisir des objets.

Photos : contracture tendineuse chez le chat

Les conséquences du dégriffage pour le chat

Problèmes orthopédiques

Un chat dégriffé n’est capable de contrôler sa patte qu’avec la précision de son avant-dernière phalange. Pour comprendre cette perte de motricité fine associée à l’amputation de la dernière phalange, imaginez clavarder ou même écrire sans le bout de ces doigts. Pour concrétiser l’impact sur la force de préhension, imaginez tenir un sac lourd dans sa main, sans pouvoir utiliser la dernière phalange comme crochet.
Pour comprendre la perte de l’équilibre, imaginez vos pieds sans le bout de vos orteils, lorsque vous avez à faire un ajustement de position soudaine, ou lorsque vous initiez une propulsion durant un jogging. Maintenant, pensez au chat dégriffé en mouvement; un animal conçu pour marcher sur le bout des orteils, comme une ballerine, maintenant destiné à marcher sur la paume de sa patte.

Le dégriffage implique donc le collapse du circuit biomécanique du chat. Le chat, incapable de tenir la tension de son poids corporel dans ses doigts, est forcé de s’adapter à son handicap par le transfert de poids au niveau du poignet. Il est facile de comprendre que ce changement de position représente une inefficacité biomécanique chez les félins. À long terme, le système mécanique compense, et cause des problèmes tels que l’ostéoarthrose, des douleurs cervicales, et des contractures tendineuses.

Le dégriffage provoque une instabilité articulaire chez le chat qui est connue pour augmenter le taux de douleur cervicale. Comme avec toutes blessures musculo-squelettiques, l’animal doit compenser pour son handicap. Donc, le chat recrute l’usage d’autres muscles, d’autres structures, qui se trouvent plus haut sur le membre, tels que ses poignets, coudes et épaules, afin de corriger l’instabilité de sa patte. Chez l’humain, ceci peut se comparer avec une personne aux pieds plats, qui développe plus fréquemment des douleurs de bassin et de la colonne associées au changement biomécanique d’un membre sans arche podal.

Photos : transfert du point d’appui habituellement sur la deuxième phalange  vers la palme de la patte

Problèmes neurologiques

Les conséquences du dégriffage ne sont pas uniquement orthopédiques. La chirurgie comprend la section de multiples nerfs. Il y a alors des répercussions neuropathologiques, telles que la sensation fantôme et la douleur fantôme. Ceci n’est pourtant pas surprenant, car 80% des amputations chez les humains résultent en douleur fantôme. Cependant, chez le chat dégriffé aux 4 pattes, nous parlons alors de 18 amputations et donc 18 chirurgies distinctes dont chacune est susceptible d’endommager le système nerveux et donc de causer des pattes sensibles.

L’hypersensibilité neurologique peut être aggravée par le contact répétitif des moignons (site d’amputation) des doigts avec le sol lors de la locomotion, puisque la griffe n’est plus en place pour coussiner les forces d’impact de la patte avec le sol. C’est d’ailleurs pourquoi un grand nombre de chats dégriffés ne se laisse toucher les bouts des doigts.

Photos : lésions au niveau des moignons du chat après le dégriffage

 

Problèmes de comportement

Il n’est donc pas étonnant d’apprendre que le dégriffage peut augmenter les urines hors de la litière. Il est possible que le chat dégriffé ait des pattes hypersensibilisées, même après plusieurs années, qui l’empêche de faire l’usage adéquat de sa litière puisque le sable est un substrat abrasif qui se moule se façon inégale à la patte du chat et lui cause des points de pression.

Le chat dégriffé est plus apte à mordre. Ceci s’explique de deux façons. Premièrement, tout mammifère en douleur chronique est plus apte à l’agressivité. Deuxièmement, le chat perd son moyen de défense principale. Il doit alors mordre pour se défendre efficacement. Ce que nous risquons avec le dégriffage est de substituer un coup de griffe, souvent sans répercussion majeure, pour une plaie de morsure, qui requiert l’usage d’antibiotique dans la majorité des cas. C’est probablement pour cette raison que l’Association médicale canadienne (AMC) et les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) ne recommandent ni l’un ni l’autre le dégriffage pour la prévention de la maladie de griffure du chat.

Il est aussi faux d’assumer que le dégriffage des chats les protège de l’abandon, puisque les urines hors litière inappropriées ainsi que l’agressivité sont les 2 causes les plus importantes d’abandon du chat. C’est d’ailleurs pourquoi nous en trouvons en grand nombre abandonnés dans les refuges. Contrairement à la croyance populaire, il est possible que le dégriffage ne protège pas contre l’abandon, mais plutôt, le précipite.

 

Une pratique à abandonner

« Le dégriffage est une chirurgie orthopédique pratiquée sans aucune justification médicale. De la même façon qu’une chirurgie orthopédique cause de la douleur chez l’humain, elle en cause chez le chat. La différence, c’est que chez l’humain, les opérations orthopédiques visent à améliorer la mobilité, alors que chez le chat, le dégriffage peut en fait entraver cette mobilité. Non seulement le chat ressentira des douleurs après l’opération, mais il peut aussi éprouver de l’inconfort tout au long de sa vie puisque l’opération peut affecter négativement sa biomécanique » Hewer et Stiles, La Presse 2019.

Tangiblement, la perte du tiers distal des doigts de la patte implique que le chat ne peut plus exprimer de multiples comportements félins sans handicap. C’est-à-dire, il est limité par sa capacité de grimper, sauter, courir, attraper des objets, marquage territorial, etc. Ces conséquences résultent en une déprivation, un handicap, qui ne permet plus au chat de vivre ses expériences physiques et émotionnelles au sommet de ses capacités en tant que félin. Le chat dégriffé a un handicap majeur comparativement à un chat possédant ses griffes.

Les alternatives recommandées

Le comportement de griffage du chat est un comportement normal d’espèce qui permet à la propagation de ses phéromones (marquage) dans son environnement. Autrement dit, le marquage est une méthode de communication pour le chat qui lui permet de communiquer sa présence à d’autre animaux. Il permet aussi au chat de diffuser son odeur dans toute sa demeure, ce qui joue un rôle important pour diminuer son stress environnemental.

Coupe régulière des griffes

Il est recommandé de couper les griffes de votre chat à toutes les deux semaines à l’aide d’un coupe-griffe. En utilisant un bon coupe-griffe et en ayant recours au renforcement positif et au don de gâterie et d’affection à la fin de chaque séance, rapidement le chat se laissera faire car il associera ce soin à une expérience positive. La griffe ainsi taillée diminue la douleur et l’impact lors d’une griffure et les meubles sont ainsi préservés.

 

 

 

Poteaux à griffer ou griffoir

Il est important qu’un chat domestique puisse avoir accès à un griffoir. 

Ces derniers sont offerts en différentes grosseurs et textures (tapis, corde, carton ondulé, tissu rugueux, bois naturel, etc.). Il faudra donc évaluer ce qui convient le plus à votre animal et ce qu’il préfère.

La hauteur et l’inclinaison du griffoir sont également des facteurs importants. Le chat doit être capable de s’étendre de tout son long sur le griffoir pour pouvoir faire ses griffes aisément. Il faudra donc que la hauteur soit suffisante. Il est important que le griffoir soit solide, pouvant permettre le chat d’enfoncer ses griffes et tirer de tout son poids sans qu’il ne puisse le bouger. 

Finalement, le griffoir doit être placé à un endroit central dans la maison (l’endroit de regroupement social, tel que le salon), car le chat souhaite marquer son territoire où le plus d’animaux et d’humains vont le voir.

 

Herbe à chat et vaporisateurs de phéromones félines

L’utilisation de vaporisateurs de phéromones félines ainsi que l’herbe à chat pour rediriger le chat vers des matériaux de griffage plus souhaitables est une méthode reconnue et efficace pour rendre le griffoir encore plus attrayant que les meubles ou les rideaux.

 

Pause de ruban à double face sur le rebord des meubles

Il est recommandé de poser du ruban à double face sur le rebord de certains meubles particulièrement intéressants pour le chat afin de le décourager à y faire ses griffes.

 

Le protège-griffes ou protecteur artificiel

A l’instar des couvre-chaussures de caoutchouc, la pose de protège-griffes est une alternative à considérer. Les protège-griffe sont en vinyle et on les pose sur les griffes. On colle un protège-griffe sur chaque griffe, après les avoir taillées. Cette application est rapide (5 minutes) et on peut le faire seul!

Les couvre-griffes sont disponibles dans les animaleries et sont de différentes grandeurs et dans une grande variété de couleurs.

On pose le protège-griffe comme le faux ongle : avec de la colle sur la griffe.

Lorsqu’un couvre-griffe tombe il est suggéré de le remplacer tout en laissant les autres en place.

Cette alternative au dégriffage félin est simple, peu dispendieuse, sans douleur pour l’animal et permet de protéger les meubles si le griffoir ne suffit pas. Il faut toutefois savoir que certains chats ne les apprécient pas, que certains peuvent tomber à l’occasion et qu’on entend un léger bruit sur le plancher lorsque l’animal marche et que les griffes ont poussé. 

Il est toutefois fortement recommandé de les essayer en faisant usage de renforcement positif.

 

Enrichissement et activités

Un enrichissement du milieu et des jeux quotidiens appropriés pour réduire le stress compétitif de l’environnement, ainsi que l’agression féline. Il est suggéré d’adopter un renforcement du comportement désiré, à l’aide l’utilisation de l’herbe à chat, des gâteries et des compliments verbaux, etc.

 

Ailleurs dans le monde

La grande majorité des pays développés ont soit interdit ou n’ont jamais pratiqué le dégriffage des chats. 

À ce jour, le dégriffage est interdit dans 25 pays de l’Europe continentale par la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie ainsi que par l’Animal Welfare Act du Royaume-Uni, de l’Écosse et de l’Irlande du Nord. 

Le dégriffage a été banni dans cinq provinces canadiennes et d’autres songent à l’interdire sous peu. Le Canada et les États-Unis demeurent deux des seuls pays développés qui pratiquent encore et couramment le dégriffage. Présentement, il y n’a pas de législation fédérale prévue pour le bannissement du dégriffage au Canada. Par contre, 7 des 10 provinces ont soit banni ou sont soit dans le processus de le faire. Il ne reste que l’Ontario, le Québec, et la Saskatchewan qui n’ont pas banni la procédure.

La World Small Animal Veterinary Association (WSAVA) encourage les ordres vétérinaires à interdire les chirurgies esthétiques ou électives. L’Association canadienne des médecins vétérinaires (ACMV) stipule pour sa part que le dégriffage est inacceptable d’un point de vue éthique.

L’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) ainsi que l’OMVQ reconnaissent tous deux l’importance des cinq libertés fondamentales reconnues aux animaux; notamment que l’animal devrait être protégé contre la douleur, les lésions et les maladies et qu’il devrait avoir la possibilité d’exprimer les comportements normaux propres à son espèce.

La RISAVR se joint à la communauté scientifique du monde entier et à tous les organismes veillant au bien-être et à la santé animale pour déconseiller aux adoptants la pratique du dégriffage félin.

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